Interview avec l’avocate Sara Torrekens, co-fondatrice de John - John Law

 11/02/21

Interview

 COVID-19

« Les collaborateurs qui ne respectent pas les mesures COVID risquent également une amende »

L’avocate Sara Torrekens a fondé il y a six mois le cabinet d’avocats John - John Law, avec son associé Daan De Backer. Ils ont travaillé tous les deux pendant pratiquement vingt ans dans le cabinet réputé Claeys & Engels. Le lancement de leur cabinet est tombé en plein milieu de la crise du coronavirus, et cela se reflète bien sûr aujourd’hui dans les affaires en cours.

Pourquoi avoir décidé de lancer votre propre cabinet ?
« Tant Daan que moi avons eu énormément d’opportunités chez Claeys & Engels. Nous y avons appris énormément de choses et nous avions à l’époque déjà choisi une spécialisation en droit pénal social. Nous avons aussi découvert que nous aurions aimé approcher les choses différemment. Créer notre propre cabinet a été la meilleure décision que nous ayons jamais prise. Le nom John - John est d’ailleurs un clin d'œil à nos pères respectifs, tant le mien que celui de Daan s'appelaient Johan, de là John - John. Ils nous ont quittés tous les deux bien trop tôt et nous voulions ainsi leur rendre hommage. »

Quelles sont les affaires pour lesquelles on peut venir vous consulter ?

« Nous sommes spécialisés en droit social, aussi connu comme le « droit pénal des entreprises ». Personnellement, je suis spécialisée dans les plaintes liées à la prévention, par exemple les plaintes en responsabilité (pénales et/ou civiles) après des accidents du travail. J’offre donc principalement mon assistance après de graves accidents du travail, mais cette année sont venues s’ajouter à cela les affaires liées au COVID, comme les contrôles flash en entreprise. »

Depuis quand constatez-vous une augmentation des affaires COVID ?

« Depuis le début de la crise du coronavirus en fait. En janvier 2020, après l’apparition de l'épidémie à Wuhan, la plupart d’entre nous n’avaient encore aucune idée de la tournure que prendraient les choses. Moi-même, je n’aurais jamais pensé au départ que cela puisse devenir un sujet dans ma pratique de la prévention. Deux à trois semaines avant le premier confinement, je suis toutefois devenue subitement la « personne de référence » à contacter dans cette matière. Une certaine inquiétude régnait déjà dans les grandes entreprises. Dans un premier temps, les entreprises ont surtout dû adapter leurs analyses des risques existantes, par exemple en prévoyant du gel hydroalcoolique et en séparant les postes de travail. Avant même que l'on ne parle de l’obligation du télétravail, nous étions déjà en train de peaufiner les politiques existantes à ce sujet dans de grandes entreprises. Nous avons aussi été les tout premiers à donner des webinaires en direct aux employeurs sur les décisions annoncées, comme la distanciation sociale, car il s’agissait d’un tout nouveau concept. »

Les entreprises ont-elles déjà été contrôlées et sanctionnées pendant le premier confinement ?

« Tout à fait. Les secteurs essentiels devaient continuer de fonctionner, mais eux aussi avaient des obligations et devaient prendre des mesures pour lutter contre la propagation du virus. Lors du premier confinement strict, les services d’inspection ont en effet opéré des contrôles dans les entreprises, par exemple dans le secteur alimentaire, où l’inspection exigeait que des mesures supplémentaires soient prises. Dans des cas de ce type, nous fournissons conseils et assistance, par exemple dans le cadre d’auditions formelles. »

Vous avez déjà mentionné que vous aviez un travail fou en raison du COVID. Quelles sont pour l’instant les infractions principales ?

« Des contrôles flash massifs vérifient de manière intensive si les mesures COVID sont respectées. L’accent principal est mis ici sur le durcissement de l’obligation de recourir au télétravail. Il est clairement noté dans la législation que le télétravail est aujourd’hui obligatoire dans tous les secteurs et pour tous les employeurs. Il y a toutefois une exception possible : s'il est impossible en raison de la nature de la fonction, de la continuité de la gestion de l’entreprise, de ses activités ou de ses services. »

Comment peut-on prouver en tant qu’entreprise que (certaines) fonctions ne peuvent pas être assurées en télétravail ?

« S’il reçoit un contrôle flash, l’employeur doit pouvoir justifier la raison pour laquelle une personne est présente sur le lieu de travail. En tant qu’employeur, vous devez donc y avoir bien réfléchi à l’avance. Le service d’inspection demandera souvent une note de motivation à l’employeur. Les entreprises reçoivent généralement d’abord un avertissement et sont mises en demeure de prouver pourquoi ces tâches sont impossibles à effectuer à domicile. »

De quelle manière pouvez-vous les aider dans ce cadre ?

« Ce que nous faisons souvent, après une concertation approfondie avec l'employeur, c'est dresser une liste pour chaque fonction et déterminer de cette façon ce que les travailleurs peuvent faire de chez eux et pour quelles tâches ils doivent se rendre au bureau. Sur cette base, on instaure généralement un système de rotation, de « bulles tournantes », avec le moins d’interaction possible entre les collaborateurs. »

Que se passe-t-il si on ne peut pas avancer une bonne motivation ?

« Dans ce cas, cela peut aller jusqu'à la rédaction d'un procès-verbal constatant les infractions en raison du non-respect des règles relatives au bien-être au travail. Les sanctions pénales ultimes sont assez sévères. Concrètement, on parle d’amendes allant de 800 euros à 8000 euros (niveau 3) pour des infractions à la législation du bien-être en général. Si une épidémie ou une contamination est effectivement causée par le non-respect des règles, l’employeur (et/ou la ligne hiérarchique) risque alors une amende de 4800 à 48 000 euros par infraction (niveau 4). Pour une entreprise, l’amende maximale dans ce cas pourrait même s'élever à 576 000 euros. Et ce n’est pas tout. Depuis le 3 juillet 2020, un nouvel article a été introduit dans le Code pénal social : l'article 238. Cet article est source de confusion, car il stipule que « le non-respect de ces règles est passible de sanctions de niveau 2 », en fait un niveau plus bas, avec des amendes allant de 400 euros à 4000 euros. »

Comment l'amende applicable est-elle alors déterminée ?

« Les employeurs et les autres dirigeants dans la ligne hiérarchique peuvent être sanctionnés soit au niveau 2, 3 ou 4. Le juge ne peut imposer toutefois qu'une seule sanction et doit donc appliquer la sanction la plus sévère. On pourrait penser que c’est clair, mais ici aussi, il y a un piège. En fait, l’article 238 du Code pénal social stipule que l’amende doit être multipliée par le nombre de travailleurs concernés. Concrètement, si un contrôle COVID est effectué dans une grande entreprise et que l’on estime qu’il y a 40 collaborateurs concernés, l’amende maximale pourrait être de 4000 euros fois 40. Ce qui est beaucoup plus élevé que la sanction maximale de niveau 3. S’il est question d'une contamination (« ennuis de santé »), la sanction possible basée sur la sanction générale pour les infractions au bien-être (article 127 du Code pénal social) serait la plus sévère. »

Les collaborateurs peuvent-ils être eux-mêmes pénalisés s'ils ne respectent pas les règles corona ?

« Normalement, seuls les employeurs et leur ligne hiérarchique (les cadres) sont responsables en tant que « contrevenants », mais l'article 238 du Code pénal vise quiconque qui, dans les entreprises, n’a pas respecté les obligations. Ainsi, un travailleur qui ne respecte pas certaines mesures de précaution dans le cadre de la prévention COVID risque aussi une amende. »

Qu’en est-il actuellement en ce qui concerne le port du masque au travail ?

« À moins que le gouvernement n'ait imposé l'obligation de porter un masque pour certaines activités spécifiques, il appartient encore actuellement aux employeurs, sur la base d'évaluations des risques, d’examiner dans quels cas un masque est ou n'est pas obligatoire. Si la règle de garder ses distances/distanciation sociale ne peut être garantie, alors il faut porter un masque. C’est à l’employeur de l’imposer. Si le travailleur ne respecte pas cette obligation de manière permanente, il s’agit d'une raison valable pour le licencier pour motif grave. Mais la question de savoir si le port d'un masque au travail doit être rendu obligatoire doit être examinée au cas par cas, en fonction des résultats des analyses des risques au sein de l'entreprise. »

Existe-t-il réellement des règles concrètes concernant l’occupation maximale dans les entreprises ?

« Lors du premier confinement dur, il y avait effectivement des règles à ce sujet, par exemple dans les grands magasins par rapport au nombre maximum de visiteurs en fonction de la superficie des magasins. Pour les employeurs, le principe qui s’applique aujourd’hui est qu’il faut travailler le plus possible à domicile. Si ce n’est pas possible, la législation stipule très clairement que vous devez veiller à respecter au maximum les règles relatives à la distanciation sociale. En d’autres termes, vous devez toujours être en mesure de garantir une distance de 1,5 mètre entre chaque personne. En principe, les entreprises peuvent traduire elles-mêmes cette donnée en occupation maximale en fonction des mètres carrés ou de la superficie, mais ce n'est pas une règle fixe ou générale. »

Quelles sont enfin les mesures actuelles en matière de tracing des contacts et du testing dans le contexte professionnel ?

« Le 21 janvier 2021, une modification spécifique des règles relatives aux compétences des conseillers en prévention-médecins du travail est entrée en vigueur. Il s’agit d’un élargissement temporaire de leurs compétences et tâches dans le cadre de la prévention du COVID. En quoi cela consiste-t-il exactement ? Ils participent au traçage des contacts, et plus spécifiquement les contacts à haut risque sur le lieu de travail. Ils sont également responsables de tester eux-mêmes les travailleurs, à la fois avec des tests PCR classiques ou des tests rapides. Toutefois, le but n’est pas qu’ils se mettent à tester à grande échelle. Cela concerne uniquement les travailleurs qui ont été présents sur le lieu de travail, donc pas les télétravailleurs, et pour lesquels il existe une suspicion soit d’avoir été infectés, soit d’avoir eu un contact à risque.

Et enfin : les conseillers en prévention-médecins du travail peuvent aussi délivrer des certificats de quarantaine à ces contacts à haut risque. Avec ce certificat, les travailleurs peuvent demander un chômage temporaire pour force majeure corona. Il est important de mentionner que s’il s’agit d’un travailleur qui peut effectuer son travail à domicile, il doit continuer à travailler, malgré le certificat de quarantaine. Si ces travailleurs tombent effectivement malades, ils peuvent aller chez leur médecin traitant et demander un certificat médical pour ne pas avoir à travailler. »

Interview avec l’avocate Sara Torrekens, co-fondatrice de John - John Law

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